[Asura] Kayla

Premiers pas

L'ile des apprentis n'était déjà plus qu'un souvenir fugace. Ce petit bout de terre qui l'avait vu grandir dans les pas des plus grands aventuriers lui semblait si loin à présent. Bien sur elle n'oublierait jamais ce que Gildas lui avait enseigné, ni les leçons de Tristan, mais l'espace protégé de l'île était si différent de la réalité qu'elle découvrait à présent...

Kayla avait franchi le portail de téléportation d'un pas confiant, certaine de ses capacités. N'avait elle pas réussi à vaincre les anatemas des montagnes, ou les terribles piranhas? Pourtant sitôt le seuil franchit, l'odeur acre de souffre qui l'avait assailli à Katan présageait des horreurs qu'elle devait affronter par la suite. Loin de la sécurité de l'île, elle devait à présent poursuivre son apprentissage seule, et le monde qui l'entourait paraissait de suite plus hostile. Les rats gobelins, au delà d'une odeur pestilencielle, était des adversaires coriaces, et les squelettes ne manquaient pas une occasion de tenter de l'attirer dans leurs rangs. Bien vite, elle avait du battre en retraite. Son vieux couteau usé qui avait si bien fait son office sur l'ile semblait si dérisoire, et il lui tardait de pouvoir manier l'épée qu'on lui avait offerte pour son départ de l'île des apprentis. Il lui faudrait sans doute encore un peu d'entrainement, mais elle progressait de jour en jour. Pire, elle avait essuyé une première tentative d'assassinat. Un individu s'était approché dans son dos pour l'abattre, et elle n'avait du son salut qu'à la fuite. Elle n'avait pourtant rien fait pour attirer l'attention. Le monde était décidément bien plus hostile qu'elle ne se l'imaginait. Qu'importe, ces épreuves faisaient parti de son apprentissage, et il serait à n'en pas douter encore long. Sa mère le lui avait annoncé, elle prenait un chemin semé d'embûches, où les choix et les concessions seraient difficiles, mais les victoires bien plus belles. Et sa mère ne se trompait jamais!

Fort heureusement d'autres aventuriers l'avaient aidé, ne serait ce qu'un peu. En répondant à l'énigme d'Artesias elle avait eu la joie de se faire couvrir de Rupy. Un clerc anonyme l'avait aidé de ses prières, ou d'autres étaient venu à son secours alors qu'elle combattait des monstres bien trop puissants. Le monde n'était peut être pas si hostile, après tout?

Katan...

Bientôt les premiers rayons du jour viendront essayer de percer les ténèbres. Comme toujours pourtant, la cité demeurera sous son voile d'ombre, comme pour veiller sur ses enfants au sein de cette obscurité rassurante. La nuit avait une fois de plus été propice à l'entrainement. Après être arrivée en ville, Kayla s'était vue confiée diverses missions subalternes où elle avait pu faire preuve de quelques talents. A coté, elle s'était astreint à un rythme d'entrainement intensif, aussi exigeant pour le corps que l'esprit, un entrainement qui devait faire de tout son être une arme qui serait à même de défier la Sorcière et ses légions. En aurait elle seulement le temps?

Pour l'heure, à force de persévérer, elle avait finalement obtenue une mission plus importante. On lui avait demandé de se défaire de "Paradis Perdu", un revenant doté d'une force hors du commun qui sévissait à l'ouest de la ville. Au cours de ses incursions, elle l'avait déjà aperçu, au loin, et avait pu constater sa puissance. Le squelette massif faisait près de deux mètre, et maniait d'une seule main une épée qu'elle aurait eu du mal à brandir à deux. Il n'était pas étonnant qu'un tel monstre puisse causer des ravages, et Kayla savait qu'une erreur pourrait lui coûter cher. Elle avait donc minutieusement préparé sa mission, comme toujours rien ne devait être laissé au hasard, la préparation était la clef du succès. Un à un, elle avait éliminé les revenants les plus proches de "Paradis Perdu", jusqu'à ce que ce dernier se retrouve seul. Bien sur elle avait choisi d'oeuvrer dans l'ombre et discrètement, afin qu'il ne puisse remarquer le piège qui se refermait sur lui. Usant de fragments, elle avait attiré les subalternes l'un après l'autre. Ces derniers, dépourvus d'intelligence ne s'étaient guère méfié et n'avaient pas cru bon de devoir venir en nombre. Aucun pourtant, ne fut en mesure de l'inquiéter, et bientôt, l'imposante silhouette de Paradis Perdu se détacha seule dans la pénombre. La mise à mort pouvait commencer.

Le fragment avait fait son office, et Paradis Perdu, n'avait pas mis longtemps à réagir, se ruant vers elle l'arme à la main. Fort heureusement, elle réussit à esquiver cette première charge, se repositionnant rapidement pour tenter une contre attaque. Bien plus agile et rapide que son adversaire, Kayla savait que sa seule chance était de jouer sur ses atouts, alors que la force brute n'était clairement pas à son avantage. A nouveau la lame du squelette s'abattit sur le sol, faisant jaillir des éclats de pierre mais ratant sa cible de peu. Encore une fois la ripose ne se fit pas attendre, profitant de l'ouverture Kayla plaça une nouvelle volée d'attaque, enchainant les techniques apprises et répétées à l'entrainement. Si une attaque seule n'avait pas semblé perturber son adversaire, les différents coups portés à la suite firent cette fois reculer le monstre. Et alors que les yeux de Kayla croisèrent le regard des orbites vides de son adversaire, la lueur rouge qui s'en dégageait lui sembla plus que jamais chargée de fureur et de haine. Son attaque n'en fut que plus prévisible. Plutôt que de tenter d'esquiver, elle essaya cette fois ci de parer du mieux qu'elle put, aidant son bouclier de son autre bras pour essayer de contenir l'impact. Le choc l'envoya pourtant rouler en arrière, et elle ne se releva à temps que pour subir un nouvel assaut. Inlassablement son adversaire avançait sur elle, faisant décrire à son épée des moulinets dévastateurs. Encore et encore la rodeuse ripostait en tentant de saisir une ouverture dans sa garde pour placer quelques coups. Enfin, acculée à la parois rocheuse, sa dernière esquive laissa la lame du squelette se ficher dans la pierre. Saisissant sa chance, Kayla pivota rapidement sur elle même pour se placer dans le dos de Paradis Perdu. Ce dernier n'avait perdu qu'un instant à débloquer son arme, mais cet instant devait lui être fatal. Sur une frappe précise, la lame de Kayla vint frapper le cou du monstre, une fois, deux fois, avant que les os ne cèdent. La tête du squelette chuta la première, avant que le reste des os ne viennent s'écrouler au sol. Un instant encore, Kayla crut voir la lueur rouge habiter les orbites du crane, avant de s'éteindre.

Epuisée, la rodeuse se laissa tomber à son tour sur le sol.

Laksy et au delà...

Si une chappe de ténèbre enveloppait toujours Katan, quel contraste plus saisissant pouvait accueillir Kayla à son arrivée à Laksy? La cité dans les airs échappait aux nuages, et était constamment baignée dans une clarté surnaturelle. La lumière était encore renforcée par ces pierres d'une blancheur immaculé dont étaient constitués les bâtisses. Ses yeux, habitués aux ténèbres, avaient mis de longs instants à s'habituer et elle était restée ainsi légèrement désorientée suite à la téléportation. Le guide Deva, comme son homologue chez les Asuras, l'avait accueilli avec un sourire d'amusement. Après avoir accompli de nombreuses quêtes dans la cité des Asuras, la jeune rodeuse était partie pour Laksy pour parachever son entrainement, et elle n'était évidemment pas la première Asura dans ce cas. Elle avait eu toutefois la désagréable sensation de devoir faire à nouveau ses preuve, en exécutant les taches ingrates que l'on voulait bien lui confier. Elle avait même cru un instant qu'il s'agissait d'une certaine défiance du fait de ses origines Asura.

Elle savait qu'il était plus que temps pour elle de se confronter à d'autres défis, d'aller vers les autres races et d'apprendre de leurs expériences. Elle avait assurément beaucoup à apprendre des Devas, de ces fiers chevaliers avec leurs armures réputées inviolables et de ces prêtres qui maniaient la magie sacrée. Si les Devas semblaient souvent à l'opposé des Asuras, ne serait ce que par leur amour immodéré de la lumière, et les valeurs qu'ils pronaient, jusque dans leur manière de se battre, avec honneur comme ils aimaient à le dire, ils pouvaient se révéler des combattants acharnés, et nombreux étaient ceux qui avaient déjà prouvé leur valeur. Parfois la méthode importait peu, et seul comptait le résultat. Ce qui était certain toutefois, c'est que l'alliance des races avait été capable de contrer les desseins de la Sorcière, là où une race seule aurait surement échoué...

Elle irait ensuite à Horizon, en terre Gaia, jusque sur les traces de la Sorcière. Là bas, peut être, pourrait elle en apprendre plus sur les rumeurs de son retour, qui se faisaient de plus en plus récurrentes. D'aucun affirmaient même avoir vu des Gaias porter son ancien étendard. Se pouvait il que les partisans de la Sorcière se regroupent en secret? Préparaient ils une nouvelle guerre, à l'image de celle qui avait déchiré le monde et dont les récits avaient bercé son enfance? Kayla s'était jurée alors d'être prête, afin de prendre sa destinée en main. Sans laisser d'autres puissants décider à sa place.

Le temps des questions

Les premiers rayons de soleil se levaient sur la ville d'Horizon, faisant darder leurs traits de feu sur les quelques bâtiments de la cité. Kayla avait fini par apprécier ce fin halo orangé qui marquait l'aurore. Ici, la guerre avait laissé de nombreuses traces, et le lourd tribut que les Gaias avaient payé était encore visible. A l'époque, la ville de Laksy n'avait du son salut qu'à son ancrage, rendant tout siège difficile, tandis que Katan et ses ténèbres perpétuelles était naturellement protégée contre les agressions. La ville d'Horizon, elle, n'avait pas eu cette chance. La plupart des batiments avaient été détruits, et quelques vestiges demeuraient. Bien sur, plusieurs années après, d'autres batisses s'élevaient à présent, mais la ville était loin de ses heures de gloire.

La guerre avait laissé son empreinte jusque dans les âmes des Gaias. Divisés au cours de la guerre, certains n'étaient plus sur d'avoir une réelle place sur ce monde, régis par les dieux de la lumière et des ténèbres. Qu'en était il de ceux qui avaient cru aux idéaux de la Sorcière et qui avaient survécu? Horizon aurait du être le centre de leur civilisation, le symbole du renouveau, mais la ville, aussi belle soit elle, manquait cruellement d'âme. Kayla n'y voyait qu'un ramassis de mercenaire, de nomades et de chasseurs. Plusieurs Gaias qu'elle avait croisé préféraient largement vivre à l'extérieur, plus proche de la nature et de la terre, comme pour se rapprocher de la vie foisonnante, plutôt que se tourner vers une cité qui rappelait par trop les dieux.

C'est auprès de ces mystiques et ces shamans qu'elle avait espéré en apprendre davantage sur la Sorcière, mais rares étaient les langues qui s'étaient déliées. Que croyait elle finalement? Que certains allaient ouvertement rejeter la foi envers les dieux créateurs? Que d'autres iraient jusqu'à clamer haut et fort que la Sorcière avait raison? Non, à ses questions, ils avaient répondu par d'autres questions, autant d'énigmes qui la mettaient mal à l'aise. Les asuras, comme les devas, étaient les disciples des dieux, il était impossible de remettre en cause le fondement même de leur existence! Et pourtant... Ces Gaias qui avaient osé se rebeller contre l'autorité divine n'étaient ils pas eux aussi le fruit de la création? Et surtout, pourquoi cette volonté de se libérer du joug des dieux?

Elle avait encore passé la nuit à ressasser ces questions et bien d'autres, sans trouver de certitudes. Aujourd'hui, elle partirait en chasse, au moins lorsqu'elle faisait cela, elle savait exactement ce qu'il en était. Il y avait toujours un chasseur, et un chassé, il s'agissait juste d'être du bon coté...

Les épées du vent

Un cri strident accompagna la chute de la voleteuse, alors que les deux lames achevaient leurs courses, entrainant avec elles des plumes ensanglantées. Kayla essuya machinalement ses lames, avant de se retourner vers la Deva qui se trouvait un peu en retrait.
- "C'était la dernière?" demanda celle-ci.
- "Oui. Nous pouvons retourner à Horizon, cela devrait suffire pour satisfaire notre employeur."

Une prime avait été promise à ceux qui rapporteraient la preuve de la mort d'une trentaine de grandes voleteuses. Les rupys étaient toujours bon à prendre, et ses finances n'étant pas au mieux, la rodeuse s'était mis en tête de remporter la prime. Sans surprise, elle n'avait pas été la seule à être attirée par les gains. De nombreux aventuriers s'étaient rendus à l'autel de l'esprit des morts, et c'est là qu'elle avait rencontré FleurDeNeige, une Deva, qui lui avait proposé de faire équipe. Pourquoi pas après tout? Si elle ne payait pas de mine à première vue, sa nouvelle alliée s'était vite révélée adepte des arts sacrés, capable aussi bien de renforcer le bras que de guérir les blessures. FleurDeNeige faisait partie de cette guilde de mercenaires fondées par des seigneurs runiques, les épées du vent. Une des nombreuses guildes qui avaient vu le jour depuis la chute de la Sorcière. Cette dernière avait au moins eu le mérite de rassembler une partie des Gaia derrière elle, et de faire oublier les dissensions des autres races pour s'allier contre elle. Depuis, l'unité avait volé en éclat. Au mieux, certaines guildes puissantes avaient réussi à rassembler derrière elles assez d'adeptes pour défendre leur cause, d'autres étaient vouées à végéter, ou disparaitre...

Alors pourquoi avait elle acceptée la proposition de les rejoindre? Kayla ne le savait pas vraiment. Il était sans doute temps pour elle d'apprendre à se battre en équipe. Mais ces mercenaires avaient éveillé sa curiosité. Ils étaient à la fois libres et soudés, et leur force résidait dans cet esprit similaire au vent qui les portait. Et ils l'avaient acceptée pour ce qu'elle était, une jeune rodeuse qui cherchait encore sa voie. Elle avait laissé entendre qu'ils n'étaient peut être qu'une étape, et qu'elle finirait sans doute par partir, mais ils avaient simplement accueilli cette déclaration comme un fait. Tous étaient amenés à mourir à jour. Le jour où leurs chemins se sépareraient, ils n'avaient qu'à espérer que ce serait en frère d'arme, et non en ennemis. Cette philisophie même, avait tout pour lui plaire.

La jeune Asura fraichement débarquée de l'ile des apprentis avait bien changé: si son regard conservait l'étincelle de ses débuts, ses traits étaient désormais plus marqués, et son corps portait les marques des nombreuses heures d'entrainement auxquelles elle s'était astreinte. Sa posture même, avait changé, alors qu'elle gagnait en confiance et en assurance.

Solitude de l'assassin...

Telle est la voie du rôdeur, telle est la voie des assassins lui avait dit sa mère. Bien souvent c'est loin des siens qu'il lui faudrait aller, solitaire et concentrée. Rares étaient ceux qui connaissaient la véritable solitude des assassins, celle qu'ils portaient comme un fardeau de part leurs obligations. Qu'ils prétendent ainsi protéger leurs proches ou se concentrer sur leurs missions, tous devaient souvent s'isoler, se retrouver finalement avec eux-même et cette triste vérité qu'ils n'étaient pas toujours prêts à entendre. La puissance infernale qui émane d'un assassin venait de ce jeu où le chasseur ne laisse aucune alternative à sa proix, à cette minutieuse préparation qui transformait une cible en victime, et un combattant en meurtrier. Pour ce faire, Kayla devait apprendre à se fondre dans d'autres environnements, d'autres milieux, pour approcher au plus près sa proie. Au plus près de ses ennemis elle pourrait les étudier, les connaître, et deceler leurs failles. Au bout du compte, il était vrai qu'un assassin pouvait nouer avec ses victimes un lien des plus étranges. Un lien qui serait rompu, alors que les lames trancheraient le fil de la vie...

Etrange sentiment qui parfois nous étreint,
Quand au creux de la nuit on regarde vers demain,
Et qu'on ne veut pas voir, qu'on soupire sans fin,
Ce vide insatiable, celui de l'assassin...

Comment exprimer, alors, ce froid qui nous glace,
La terrible étreinte d'une compagne fidèle,
Qui toujours nous suivra, emportant avec elle,
Cette vaine jalousie, empreinte de menaces.

On s'entoure de ces murs, bâtissant cette prison,
Qui obscurcit le ciel et tous nos horizons!
On en oublie de vivre, aui milieu de ces autres,
Préférant en souffrir qu'accepter leurs sourires,
Qui promettent et font vivre les rêves qui sont notres,
Invitations cruelles comme cuisants souvenirs.

Et la lune nous éclaire, illumine la scène,
Elle n'a cure des raisons, ne devine pas la peine,
Qui se cache derrière ce visage de cire,
Là où rien ne se montre, là où rien ne transpire.

Solitude c'est un choix, pour certains un devoir,
Pour épargner ses proches, on ne veut les revoir,
On s'enfuit, disparait, on ne veut plus de liens,
Comme autant de faiblesses, on le croit pour leur bien.

Et l'on demeure encore, à contempler la lune,
Silhouette solitaire, ordinaire, si commune,
Ce halo, cette aura qui éloigne et protège,
Cette mort qui nous suit, comme un sombre cortège...

Rencontre avec le passé...

Les esprits de la terre lui avaient annoncé sa venue avant même que les vents ne portent le bruit de ses pas. L'étrangère était habile, et croyait sans doute se déplacer sans bruit, mais elle ne pouvait tromper un fils de Gaia. Il avait entendu parler de cette asura qui posait de nombreuses questions sur la Sorcière, mais ne s'en était pas préoccupée. Que pouvait lui vouloir une Asura, émissaire des faux dieux? Depuis la défaite, lui comme les rares survivants des légions de la Sorcière avaient adopté un profil bas, se rapprochant de la terre nourricière pour se cacher du regards des cieux. Cette fois ci, pourtant, la confrontation semblait inévitable. Soit. Il n'était pas homme à se détourner de son destin.

Se redressant de toute sa stature, il empoigna "Faucheuse" sa fidèle hache reconnaissable aux motifs de faucon sur la lame. Il avait toujours été un des combattants les plus imposants sur le champs de bataille, et même si le poids des années se faisait toujours plus sentir, il demeurait d'une stature impressionnante. Quelles que soient les intentions de l'Asura, elle trouverait à qui parler. Se campant fièrement sur ses jambes, le vieux shaman toisa la jeune femme qui pénétrait dans la clairière. De fins cheveux d'ébène encadraient un visage encore jeune, mais sa posture et les deux lames qui pendaient à ses cotés ne laissaient guère de doute quand à ses capacités martiales. Pourtant, en combattant aguerri, il sut de suite qu'elle ne ferait pas le poids face à lui. Mais ce fut son regard qui attira son attention, les yeux de la jeune femme ne brillaient pas par leur animosité ou leur ardeur, on y lisait simplement une détermination sans faille.

-----------

Elle avait du partir loin à l'intérieur des terres, à la poursuite de la seule piste qu'on avait bien voulu lui indiquer. Ses recherches l'avaient menée vers un ancien shaman, qui, dit on, avait occupé un poste important dans les légions de la Sorcière. A la chute de cette dernière, il se serait réfugié au plus profond de la forêt de bambous, afin de préparer son retour. Aussi mince que semble la piste, elle avait voulu y croire, et les rumeurs d'un vieil homme vivant dans la forêt semblait correspondre. Approchant d'une clairière, Kayla s'arrêta alors que tous ses sens s'affolaient comme pour l'alerter d'un danger. Au centre de la clairière, un vieil homme aux yeux de braise la dévisageait.

Si c'était le shaman dont on lui avait parlé, la légende n'était pas loin de la réalité. L'homme devait mesurer près de deux mètres, et avait les mains appuyés sur une hache gigantesque dont la lame luisait d'une étrange lueur. Les nombreuses cicatrices qu'il arborait sur le corps étaient autant de témoignages des batailles qu'il avait du mener, et auxquelles il avait survécu. Et ses yeux croisèrent le regard du Shaman, alors que ce dernier empoignait sa hache.

- Il se raconte que tu me cherchais, fille des ombres. Me voici!, lança le shaman d'une voix puissante alors qu'il se ruait vers elle.

Kayla eut à peine le temps d'esquiver la lourde hache, qu'un second moulinet coupait déjà sa trajectoire. Elle sortit de suite ses lames qu'elle plaça instinctivement sur la trajectoire en croix pour essayer de parer. La violence du choc la repoussa plusieurs mètres en arrière. Son adversaire, déjà, était à nouveau sur elle.

- Attends, je ne viens pas pour me battre!, réussit elle à dire, avant que la lame ornée de faucons ne s'abatte sur le sol. A nouveau elle s'était jetée sur le coté, effectuant une roulade pour éviter l'assaut.

Le vieil homme l'observait avec attention, la tenant en respect avec sa hache alors qu'elle se redressait pour se relever. Kayla savait qu'un moindre faux mouvement pouvait alors lui coûter la vie. Elle choisit alors de tenter l'appaisement, en rengainant lentement ses lames.

- J'ai entendu dire que vous pourriez me renseigner sur la guerre, sur la Sorcière.

- Il est rare qu'un assassin Asura vienne me voir pour parler histoire, jeune fille. D'autres enfants des ombres sont déjà venus avec de bien moins nobles desseins.

- Il ne s'agit pas seulement d'histoire. Ma mère avait eu pour mission d'assassiner la Sorcière. Et pour des raisons que j'ignore, elle aurait abandonné sa mission, s'attirant l'opprobe et le déshonneur. Elle qui avait toujours servi le presbytère loyalement aurait été bannie ou exécutée. Je n'ai jamais pu apprendre pourquoi, et nul Asura n'a voulu me répondre. Je me disais que peut être... Peut être en comprenant mieux, je saurais enfin ce qui a pu se passer.

A ces mots, les yeux du vieux shaman s'étaient écarquillés de surprise. Les bras noueux s'étaient abaissés pour laisser la hache reposer au sol.

- Par Gaia, alors c'est donc toi sa fille..., laissa t il échapper dans un souffle.

Rencontre avec le passé... (deuxième partie)

- A l'époque je n'étais qu'un jeune mystique en quête de savoir. J'avais rejoins les rangs de la Sorcière, pour libérer les Gaias du joug des dieux, et tous nous croyions pouvoir faire entendre notre voix jusqu'aux cieux. Nous espérions tout du moins, avant que vos dieux n'envoient leurs légions pour nous combattre. Nous avions été bien naifs de croire que les dieux nous laisseraient mener nos vies et changer l'ordre établi. N'en avions nous pas le droit? Ou devions nous rester à jamais les jouets des dieux?
Le vieux shaman fit une pause, fermant les yeux comme pour se remémorer les images du passé. Les flammes du feu de camp qu'il avait allumé dansaient dans le crépuscule, projetant ça et là des ombres fugaces. Après avoir cessé le combat, il avait enjoint à Kayla de le suivre, lui promettant de lui parler du passé, du passé de sa mère.

- Bien sur tu as du en entendre des récits. Je ne doute pas que le Presbytère ait écrit l'histoire à sa manière. Ce sont toujours les vainqueurs qui relatent les faits. Dans les récits Asura ou Gaia la Sorcière est un monstre aux pouvoirs maléfiques, qui aurait trompé une partie du peuple Gaia. De mes yeux je l'ai vu pourtant, et elle n'était qu'une Gaia qui cherchait à libérer son peuple. Sa voix avait le son de la vérité, et ses paroles touchaient le coeur et l'âme. Les dieux avaient soit disant envoyé leurs disciples pour nous aider à nous installer sur cette terre. Mais ne voulaient pas simplement contrôler cette vie issue de la terre nourricière? C'est la voix de la vie, la voix d'un peuple qui s'élevait lorsqu'elle prenait la parole. C'est cette vie que nous avons voulu élever face à la lumière et aux ténèbres.

Le regard s'était assombri. Avec le flot des souvenirs, d'autres images avaient visiblement refait surface. La guerre n'avait pas laissé que des traces sur la terre, elle avait aussi marqué les êtres, que ce soit par la perte d'êtres chers ou simplement son issue tragique.

- Les assassins Asura avaient été missionnés par le Presbytère. Les meilleurs d'entre eux avaient recu l'ordre de tuer la Sorcière. Sept ils furent à lancer leur assaut, sept ombres des ténèbres qui jaillirent une nuit pour tenter de la réduire au silence. Ta mère, Niela , faisait partie de ceux ci.

Kayla tressaillit malgré elle. Elle avait bien entendu parler d'une élite au sein de la guilde des assassins, une poignée de maitres qui marchaient à travers les ombres et exécutaient la volonté du Presbytère. Leur identité demeurait un mystère, et leur existence presque une légende.

- Mais nous étions préparés. Les yeux de la terre nous permettaient de voir à travers les ombres et même les meilleurs assassins ne pouvaient passer inapercus. Privés des ténèbres qui les masquaient aux regards, les assassins furent rapidement maitrisés. Aussi doués soient ils, ils n'étaient que sept, face à toute une troupe. Quatres périrent lors de l'assaut, les trois autres furent grièvement blessés, et nous allions les achever, lorsque la Sorcière s'interposa. Nous étions en guerre, ces assassins avaient voulu la tuer, rien n'aurait été plus juste que de vouloir mettre à mort son ennemi vaincu, mais elle, elle ne voulait pas voir les choses ainsi. Pour elle, c'était là une occasion de parler, et peut être de convaincre.
A nouveau le shaman s'était interrompu, les yeux dans le vide.

- Alors ma mère...

- Oui ta mère faisait partie des survivants. Elle fut soignée et passa de longs moments à discuter avec la Sorcière. Ce fut la seule qui écouta ses mots. Les deux autres ne voulaient pas entendre ce qu'ils appelaient des mensonges et des blasphèmes envers les dieux. Ils préférèrent se donner la mort que de subir le déshonneur d'un échec. La Sorcière réussit à convaincre ta mère. Niela nous laissa symboliquement ses armes, et demeura un moment parmi nous, pour voir de ses propres yeux ce que nous essayions de faire. Il était clair pour elle que ce faisant elle devenait aux yeux du Presbytère une traitresse, même si sa loyauté envers son peuple demeurait intacte. Nous avons bien essayé de la convaincre de rester avec nous, sachant ce qui l'attendait si elle retournait parmi les Asuras, mais en vain. J'ignore ce qui lui est arrivé. J'imagine que le Presbytère n'a pas accueilli avec joie son retour, et que ce genre de comportement a vite été étouffé. Mais nous ne l'avons plus jamais revue...